Créer avec les corps et les machines —Rencontre avec LA CHORÉGRAPHE Stefania Skoryna

Crédit photo: Maxyme G.Delisle

La danse contemporaine s’invente aussi dans les zones de friction entre technologie et interactivité. Avec BEATS Collective, la chorégraphe Stefania Skoryna fait dialoguer les corps, la lumière et le son pour créer des expériences immersives où le mouvement devient interface. Lors d’une récente résidence à l’Agora de la danse à Montréal, elle a poursuivi ses recherches sur la physicalité collective et sur la manière dont la danse peut rencontrer des dispositifs technologiques sans perdre sa charge sensible.

Stefania Skoryna nous révèle son processus, ses inspirations et la manière dont la création, l’improvisation et l’enseignement nourrissent son travail au sein de BEATS Collective.




Sur la résidence à l’Agora de la danse

Tu viens de terminer une résidence à l’Agora de la danse. Qu’est-ce qui t’animait dans ce travail avec plusieurs corps en même temps dans l’espace?


Avec BEATS Collective, on était intéressé à voir comment travailler avec plusieurs corps pour transmettre une idée qui, jusqu'à maintenant, vivait surtout à travers une seule interprète – Molly Siboulet-Ryan – avec l'accompagnement d’Hamie Robitaille et Yuki Berthiaume sur scène. Notre recherche tournait autour des thèmes et questionnements suivants: 
— Les systèmes, les structures imposées ou créées.
— Comprendre et apprendre les codes d’un système.
— Quelles sont les motivations pour y entrer/rester/partir?
— Comment naviguer des systèmes très ancrés, sachant qu’on ne s’en sortira jamais à 100%?
— Différentes manières de déjouer les systèmes en collectivité.
— Comment les petits gestes (micro) peuvent avoir un grand impact (macro)?
— Ce que les personnes d’un groupe ont en commun et de singulier.
— Comment les différences de chacun.e rendent un groupe plus fort? 


Qu’est-ce que cette expérience t’a permis de découvrir ou de préciser dans ta recherche chorégraphique?

La résidence m’a permis d’explorer plusieurs de mes intérêts, préférences chorégraphiques et méthodes de travail: Le plaisir de la relation à la musique, la satisfaction dans la simplicité du geste avec une attention au regard, à l'initiation et les motivations des actions, comment les variations d’un même mouvement créent de la richesse et de la profondeur, l’approche holistique de la chorégraphie entre autres avec l’utilisation des 5 fondements de la danse (corps, temps, espace, énergie, interrelations) et l’imagination. Je réitère l’importance d’un cadre clair et précis en improvisation pour pousser une idée et surtout supporter les interprètes dans leur travail, tout en leur laissant l’espace pour créer leur propre sens avec les consignes.
Je suis heureuse de constater que c’était un autre moment de redécouverte de mon grand amour pour le mouvement et l’art de la danse, incluant les compétences et le savoir-être des artistes. Grande reconnaissance pour les humain.es qui ont été avec nous en studio: Clara Biernacki, Laura Brisson, Alec Charbonneau, Maeva Cochin, Kristina Hilliard, Alice Larrière, Charlotte Mégardon, Jane Millette, Alex Pham, Lou-Anne Rousseau, Cara Roy, Manon Scialfa, Jules Talavera, Catherine Wilson et Hamie Robitaille, Yuki Berthiaume & Nine Desbaillet ♥


Sur la transdisciplinarité et la technologie

Avec BEATS Collective, la danse est toujours en dialogue avec la technologie. Comment abordes-tu cette co-création avec les dispositifs interactifs, le son ou la lumière? 

C’est déjà quelque chose que j’aime beaucoup, prendre en compte chaque élément (lumières, son, mouvement, costumes, scénographie) pour nourrir une idée, donc ce n’est pas différent avec BEATS Collective. On se pose beaucoup de questions pour trouver un sens et s’assurer qu’on est sur la même longueur d’onde avec ce qu’on transmet avec chaque élément et chaque section. Par exemple: Qu’est-ce qu’il faut ajouter, amplifier ou enlever pour rester aligné avec nos intentions? Parce que les possibilités sont quasi infinies, il est crucial de faire des choix liés à un but commun, tout en sachant qu’on n’a pas 100% de contrôle sur comment la création sera lue et perçue.


À ton avis, qu’est-ce que la danse peut donner à la technologie… et inversement, qu’est-ce que la technologie peut révéler de la danse?

Dans le cas de BEATS Collective, la technologie joue un grand rôle esthétique et je trouve qu’elle permet d’exprimer ce qui se passe dans l’intangible, puisque le son et le visuel sont des éléments plus abstraits, moins concrets que les corps qui sont déjà présents dans l’espace scénique. J’aime qu’avec BEATS on utilise les effets sonores et visuels comme matérialisation de ce que vivent les interprètes puis comme aide pour communiquer et transmettre nos intentions au public. La danse, mais surtout les interprètes sur scène, permet une identification et une empathie chez le public. Ce projet a besoin des deux pour tendre vers son plein potentiel.


Sur BEATS Collective

BEATS est un collectif transdisciplinaire, où chacun arrive avec sa propre vision. Comment arrivez-vous à construire un langage commun à travers tout ça?

Grâce à des intentions communes. Durant la semaine de résidence, nous avons passé plusieurs heures les matins à nous demander ce qui nous intéresse et à choisir des mots qui nous parlent à toutes selon nos référents variés. On utilise différentes techniques comme des brainstorms, des cartes d’images, des schémas et courbes émotives, s’imaginer des histoires, se mettre à la place du public et se demander ce qu’on aurait envie de vivre comme expérience, puis tranquillement on arrive à une satisfaction globale.

Et le public, tu le vois comment dans ce projet? Comme simple spectateur, comme partenaire… ou comme véritable co-créateur?

Difficile à dire pour l’instant, parce que nous sommes au tout début de la recherche, mais il y a un souhait que le public se sente impliqué, uni et faisant partie de l'œuvre.


Et si tu devais résumer en une phrase ce que tu recherches à travers BEATS Collective, ce serait quoi?

Grâce à la collaboration avec des artistes singulièr.es, continuer de faire coexister et allier trois médiums de manière innovante et pertinente pour nourrir nos intentions choisies.


Sur le rôle de chorégraphe et d’enseignante

Tu es à la fois chorégraphe et enseignante. Comment ces deux rôles s’influencent dans ta façon de créer?

Mes rôles sont une mise en action de mes intérêts et valeurs professionnelles et personnelles, donc mon approche, mes outils et mes méthodes restent les mêmes peu importe les contextes. Ma foi et l’importance que j’accorde à l’éducation en général, puis la connaissance de soi, teinteront mon approche avec les personnes avec qui je travaille et ma passion pour la danse, le mouvement, la composition aura un impact sur les projets dans lesquels je m’implique. Je pense à la notion de jeu et je trouve qu’elle englobe plusieurs éléments importants reliés à mes pratiques professionnelles. Le jeu inclut un cadre inventé clair et précis, du plaisir, ne pas trop se prendre au sérieux, une grande opportunité d’apprendre, enlever la pression de performance et de productivité, l’exploration, la liberté d’être soi ou faire ressortir une de nos facettes, la curiosité, la créativité, l’imagination, la découverte, de pratiquer différentes compétences et habiletés, etc. Je dirais donc que le jeu est ce qui influence mes processus.

Est-ce que ton enseignement nourrit ton processus de création… ou est-ce plutôt l’inverse? 

Mon processus de création ne change pas forcément selon mon rôle artistique, mais oui, les objectifs seront différents. Créer une classe de danse versus créer une séquence chorégraphique se passe de manière similaire pour moi. Donc je dirais que ce qui nourrit mon processus de création n’est pas en lien avec mes rôles, mais plutôt avec mes intérêts, ce qui m’habite, ce que j’ai envie de transmettre, qui au final reste pareil pour chacun de mes chapeaux. La relation son-mouvement, un cadre pour permettre une liberté, l’imprévisible, la variété, jouer avec les perceptions et les attentes, la présence, la matérialisation de l’intangible (embodiment/incarnation), l’émerveillement, la simplicité, la curiosité, la créativité du corps, la précision, la clarté, jouer dans le spectre d'opposés, ce que nous avons en commun et de singulier, l’impact de petits gestes...


À travers le travail de Stefania Skoryna et de BEATS Collective, la danse contemporaine à Montréal s’ouvre à de nouveaux terrains de jeu où le corps, la technologie et l’interactivité inventent d’autres façons de se rencontrer. Une recherche en mouvement, qui continue de se déployer au fil des résidences et des scènes.

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Transdisciplinarité et performance INTERACTIVE / une matière chorégraphique augmentée